vendredi 28 mars 2008

Témoignage « Reconnaître sa souffrance, c'est déjà l'atténuer »

Lytta Basset est professeure de Thélologie, après avoir été pasteure pendant 17 ans. Elle respire la sérénité. Elle a pourtant vécu le « pire » : le suicide de son fils de 24 ans, en 2001.

« On ne se remet jamais de la mort de son enfant : cette phrase que j'ai entendu des milliards de fois, est une phrase assassine et fausse. Cela fait 6 ans que Samuel est mort et, depuis plus d'un an, je peux dire que j'ai le sentiment d'être apaisée. Mais il faut du temps pour se réunifier.

Comment j'ai trouvé la paix?

D'abord, je n'ai pas eu à lutter contre la culpabilité. Mes recherches sur ce sentiment m'avaient montré à quel point il pouvait être une impasse. D'ailleurs, le jour de l'enterrement, j'ai dit "Je n'irai pas dans la culpabilité". La phrase a surgi hors de moi. J'y ai souvent repensé ensuite, cela m'a encouragée.

Culpabiliser, c'est rester otage d'un fantasme, croire que nous pouvons à nous seuls sauver la vie d'un autre. Or, il est évident que je n'aurais jamais pu convaincre Samuel de ne pas vouloir mourir. Accepter notre impuissance, tout comme admettre que certaines choses soient irréversibles, c'est un défi pour celui qui souffre d'une séparation. Et c'est un pas de géant vers l'apaisement.

Mais l'étape essentielle consiste à regarder sa douleur en face. Ce n'est pas en mettant le couvercle sur les émotions qu'elles cesseront, ni en niant son éclatement interne que l'on retrouve un état harmonieux. Je dis souvent que reconnaître sa souffrance, c'est l'atténuer aux trois quarts. Parce que dans ce flou général, un objectif devient clair : se retrouver soi-même, pour en finir avec ce désordre intérieur.

Cela ne signifie pas qu'il faille se couper des autres. Instinctivement, beaucoup de gens en souffrance se replient sur eux-mêmes. Par peur d'embarasser en pensant que " les autres ne peuvent pas comprendre, donc vaut mieux que je ne dise rien". Du fait de mes expériences passées, j'ai été très tôt consciente de ce piège du silence et je me suis promis de l'éviter. Par exemple, lors du premier anniversaire de mon fils après sa mort, j'étais en conférence au Portugal. Même si je ne connaissais personne, je savais que je ne pouvais pas garder ça pour moi, je devais le dire.

Ceux qui m'avaient fait venir au séminaire parlaient un peu français, je les ai pris à part : "J'ai perdu mon fils il y a quelques mois, c'est son anniversaire aujourd'hui. J'ai besoin de le dire parce que ça m'habite." Ils m'ont écoutée avec empathie, puis nous avons repris le travail. C'était suffisant, j'avais déposé ce poids. S'ouvrir, parler de soi est déterminant. Le plus souvent, nous découvrons des trésors de générosité chez les gens. S'entendre dire : « Je pense bien à vous », cela suffit pour aller un peu mieux. Et si certains réagissent moins bien à ce type de confidences, pourquoi s'en inquiéter? Ils ont leurs raisons pour être mal à l'aise avec la mort, mieux vaut se tourner vers d'autres personnes capables de nous entendre.

Enfin, ce qui m'a aidée à retrouver la paix, c'est l'attention aux détails, à toutes les petites choses du quotidien qui prouvent que la vie est davantage que le malheur qui m'est arrivé. C'est cette nouvelle plante que j'ai découverte dans le jardin le jour de l'anniversaire de la mort de mon fils, c'est cette lettre d'encouragement dans ma boîte aux lettres alors que j'étais effondrée de chagrin.

Ce sont toutes ces coincidences, comme des cailloux blancs dans un champ de décombres. Nous les voyons tous, mais nous avons tendance à les minimiser. « Ce n'est rien par rapport à l'horreur que je vis » Je crois que c'est le contraire. Ces petits cailloux deviennent des repères, qui couvrent peu à peu le terrain dévasté. Il y a une vitalité immense dans les détails .Quand tous vos repères ont volé en éclats, c'est comme si soudain la vie nous montrait qu'il y a encore du possible.

Au fil du temps, ces instants d'accalmie deviennent plus nombreux et plus longs que les moments de déchirure, la mort cesse d'être obsédante, se lever chaque matin n'est plus un exploit. Aujourd'hui, j'ai repris pied dans la vie, j'arrive à me projeter, à rire. Il ne s'agit pas que j'oublie mon malheur et mon enfant disparu. Au contraire, il n'a jamais été aussi près de moi. C'est cela je crois, être en paix : avoir la sensation que l'autre est vivant, mais autrement : en nous. »