jeudi 6 mars 2008

Extrait de "Entrer en amitié avec soi-même (Pema Chödrön) "

Il existe un malentendu général chez tous les êtres humains nés sur cette terre: la tendance à croire que la meilleure façon de vivre est d'essayer d'éviter la douleur et de se contenter de rechercher le confort. On peut observer cela même chez les insectes, les animaux et les oiseaux. Nous sommes tous les mêmes.
Commencer à aiguiser notre curiosité, sans nous soucier du fait que l'objet de notre intérêt est doux ou amer, est une manière plus stimulante d'aborder la vie, qui renferme plus de joie, de bienveillance et d'audace. Pour mener une vie qui ne s'arrête pas à la mesquinerie, aux préjugés et au besoin de s'assurer que tout va toujours tourner comme nous le vouIons; pour mener une vie plus passionnée, plus pleine et plus joyeuse, nous devons nous rendre compte que nous pouvons tolérer beaucoup de douleur et de plaisir, afin de découvrir qui nous sommes et le monde où nous vivons, comment nous fonctionnons et comment fonctionne notre monde, comment tout cela est. Si l'on se préoccupe du confort à tout prix, dès que l'on éprouve la moindre petite douleur on va prendre ses jambes à son cou; on ne saura jamais ce qu'il y a au-delà de cette barrière, de ce mur ou de cette chose effrayante.
Quand les gens commencent à méditer ou à pratiquer une discipline spirituelle, ils pensent souvent qu'ils vont s'améliorer d'une façon ou d'une autre. Cette attitude représente une sorte d'agression subtile contre ce qu'ils sont réellement. C'est un peu comme dire: "Si je fais du jogging, je serai quelqu'un de bien mieux", "Si seulement je pouvais avoir une plus belle maison, je serais quelqu'un de bien mieux ", "Si je pouvais méditer et m'apaiser, je serais une meilleure personne". Ou bien le scénario peut consister à critiquer les autres; on pourrait dire: Mis à part mon mari, mon mariage serait parfait. "La mésentente entre mon patron et moi mise à part, mon boulot serait tout bonnement formidable". Et pourquoi pas : " Mis à part mon esprit, ma méditation serait excellente".
Mais la bienveillance - maitri - envers nous-même ne signifie pas que nous devons nous débarrasser de quoi que ce soit. Maitri signifie que nous pouvons toujours être dingue après toutes ces années; nous pouvons toujours être coléreux après toutes ces années; nous pouvons toujours être timide ou jaloux, ou manquer complètement d'estime envers nous-même. Il ne s'agit pas d'essayer de nous changer. La pratique de la méditation n'a pas pour but de nous rejeter nous-même et de devenir meilleur. Son objet est de nous lier d'amitié avec la personne que nous sommes déjà. La pratique se fonde sur vous, moi, qui que nous soyons, maintenant, exactement tel que nous sommes. C'est cela la base, c'est cela que nous étudions, c'est cela que nous sommes amené à connaître avec une curiosité et un intérêt prodigieux.
Les bouddhistes utilisent quelquefois le mot ego dans un sens péjoratif avec une connotation différente de celle rattachée au terme freudien. En tant que bouddhiste nous pourrions penser: " Donc nous sommes censé nous en débarrasser, n'est-ce pas" ? Il n'y aurait alors plus de problème. " Au contraire, il ne s'agit pas de se défaire du moi, mais plutôt de commencer à s'intéresser à soi-même, de faire des recherches et d'être curieux à son propre sujet.
La voie de la méditation et la voie de notre vie, somme toute, ont quelque chose à voir avec la curiosité, l'investigation. Le terrain, c'est nous; nous sommes ici pour nous étudier et pour entreprendre de nous connaître maintenant et non plus tard. On me dit souvent: Je voulais avoir un entretien avec vous, je voulais vous écrire une lettre, je voulais vous téléphoner, mais j'ai préféré attendre de retrouver mon équilibre. Pour ma part, je me dis: " Eh bien, si vous êtes peu ou prou comme moi, il se peut que vous attendiez une éternité"! Venez donc comme vous êtes. La magie, c'est d'être disposé à s'ouvrir à cela, disposé à être pleinement éveillé à cela. Voir comment nous fuyons continuellement le moment présent, comment nous évitons d'être simplement là tel que nous sommes est l'une des principales découvertes que permet la méditation. On n'estime pas que ce soit un problème: l'important c'est de le voir.
L'esprit d'investigation, ou la curiosité, implique d'être doux, précis et ouvert: être en fait capable de lâcher prise et de s'ouvrir. La douceur est un sentiment de bonté à son propre égard. La précision consiste à être capable de voir très clairement, à ne pas avoir peur de voir ce qui est vraiment là, tout comme un scientifique n'a pas peur de regarder dans le microscope. Louverture est la capacité de lâcher prise et de s'ouvrir.
Imaginez qu'à la fin de chaque journée quelqu'un vous passe un enregistremet vidéo de vous-même et que vous pouvez le voir intégralement. Il se peut que vous grimaciez assez souvet en faisant : " Pouah! " Vous verriez probablement que vous faites vous-même toutes ces choses pour lesquelles vous critiquez tous ceux qui vous agace dans la vie, tous ceux sur lesquels vous portez des jugements. Fondamentalement, entrer en amitié avec soi-même, c'est aussi entrer en amitié avec tous ces gens-là, parce que si vous parvenez à avoir envers vous-même cette sorte d'honnêteté, de douceur et de bonté et à rester clair face à vous-même, ce sentiment de bienveillance peut s'étendre aux autres sans obstacle.
Ainsi, la base de la maitri, c'est nous-même. Nous sommes ici pour apprendre à nous connaître et à nous étudier. La voie, la façon de le faire, notre principal véhicule sera la méditation, ainsi qu'un sentiment général de vigilance. Notre curiosité ne sera pas uniquement limitée à nous asseoir ici. Nous veillerons à maintenir ce sentiment d'être en vie, ouvert et curieux dans tour ce que nous faisons: traverser les corridors, aller aux toilettes, sortir dehors, préparer les repas à la cuisine ou parler aux copains, etc. Il se peur que nous fassions l'expérience de ce qui est décrit traditionnellement comme le fruit de la maîtri : une sorte d'entrain, d'enjouement.