lundi 17 mars 2008

Article de psychologies magazine sur l'ancienne sortie de retraite de 3 ans au bost en 2004

e mercredi matin, les portes des ermitages s’ouvrent. Enfin. Cheveux ras, longues robes monastiques carmin, ils apparaissent, sortant un à un, en procession, concentrés. Il faudra attendre que s’achève la cérémonie recueillie au stûpa (monument sacré) puis au temple pour que les bras s’ouvrent, pour que s’échangent les premiers mots. Ces dernières minutes sont les plus longues…

« Ce moment a été comme un point d’orgue, confie Jean-Guy, 38 ans, ingénieur naval. Moi qui ai fait beaucoup de voile, j’ai vécu cette sortie comme une rentrée au port avant de reprendre le large. Je ne cherchais pas à détailler les visages, à reconnaître qui que ce soit. Je mettais juste tout mon bonheur dans mes yeux, pour le partager. » Pourtant, la grande retraite du bouddhisme est une expérience sans concession.

Plonger de l’intérieur vers l’extérieur

Pour l’heure, l’émotion est forte. Une amie s’excuse de n’avoir pas écrit : « Le temps a passé si vite. » Un photographe est là à titre privé : son ex-compagne sort de sa seconde retraite consécutive. Telle mère tire sans relâche les poils sur le bras de son fils, après tout ces mois sans pouvoir le toucher. Telle autre, qui n’a pas approuvé le choix du sien, concède « qu’il n’a pas trop maigri »…

Les pères, eux, sont très souvent gênés et ne savent pas trop comment reprendre contact. L’un s’émerveille des roseaux du jardin ; un autre, cynique, dit à son fils : « Pendant ce temps-là, je me suis occupé de faire fructifier ton argent. » Une phrase que le sociologue Stéphane Potier ne juge pas anodine : « Les parents ne comprennent pas que leurs enfants n’assument pas leur vie financière. Pour payer les 335 € mensuels nécessaires au financement de la retraite, la plupart font appel à des donateurs. Pour la famille, entrer en retraite ne peut mener nulle part professionnellement parlant. Ce n’est pas une carrière. » Stéphane n’est pas là en simple observateur… puisqu’il souhaite participer à la prochaine, en 2005.

Un enfant de 11 ans, serré comme un koala contre sa mère, reste totalement insensible à l’agitation extérieure. Sophie, 35 ans, vient de sortir. Tous les mois, son fils lui a envoyé une photocopie de ses bulletins scolaires et, pendant ces trois années, c’est son mari qui s’est occupé de lui. « Prendre la décision de partir en retraite a été extrêmement difficile pour ma femme, parce que cela engageait un enfant, confie cet époux. Mais nous avions passé un contrat très clair : quoi qu’il advienne, Sophie revenait à la fin de la retraite, et devait l’interrompre si notre fils rencontrait des difficultés. Pour ma part, j’ai fait vœu de chasteté, afin de garantir à ma femme et à mon fils la solidité de notre cellule familiale. » Dès demain, Sophie reprendra son travail de traductrice à l’association humanitaire Planète enfants.

Introspection et travail en groupe
Avant que les portes ne se ferment pour 1 190 jours, tous ces retraitants avaient fait, au minimum, cinq vœux : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas prendre d’intoxicant et être chaste. Un programme qui exerce la vigilance. Chaque pas compte, car, ici, les journées sont longues et riches.

Les pratiques débutent à 4 h 30 et s’achèvent à 23 heures. Discipline et recueillement sont primordiaux. Jean-Guy en a fait l’expérience. « Le grand pas a été, pour moi, de tout quitter pour arriver ici. Je vivais à La Rochelle, mon travail me passionnait, j’avais beaucoup d’amis et j’étais hyperactif. J’ai d’abord, comme mon grand-père, voulu trouver la spiritualité au sein de mon couple. Mais ce cocon cachait mes peurs. Mon amour n’était pas libre ni gratuit. Peu de temps après avoir quitté mon amie, j’ai rencontré lama Guendune, et j’ai su que c’était fini pour moi. Pour mon petit moi… L’idée de la retraite s’est vite imposée. J’ai évidemment eu beaucoup de mal pour m’asseoir et méditer ! J’ai traversé une grosse crise dans la pratique des cent onze mille cent onze prosternations. Cela a fait remonter mon orgueil et je me suis vu prendre mes valises. En fait, je me regardais le nombril. J’entre en seconde retraite pour affermir ce que j’ai découvert. Ma vocation, c’est les autres. »

Les retraitants sont logés dans des ermitages non mixtes (1) composés de petites chambres individuelles, d’un temple, d’une salle de yoga, d’une cuisine, d’un réfectoire et d’un jardin pour la détente. Le cœur du travail s’effectue dans la solitude de la cellule où chacun pratique, assis en tailleur, la méditation de façon intensive : douze heures chaque jour, par session de trois heures, dans une caisse en bois des moins confortables, pudiquement appelée « siège de méditation », qui évite aux énergies de se disperser...


On croit, à tort, que toutes les retraites sont silencieuses. Or, chez les bouddhistes, le travail en solitaire alterne avec le travail de groupe, appelé "méditation dans l’action". L’objectif est de développer une attitude spirituelle dans la vie quotidienne. « Notre stabilité intérieure doit se frotter à la réalité. Nous vérifions la profondeur de notre travail au contact des autres », reconnaît lama Tsultrim, l’une des rares femmes occidentales devenues lama.

Attention, ego

Au début du séjour, chacun adopte un rôle supposé idéal : calme, généreux, ouvert. Très vite, la vie fait tout exploser et le travail commence vraiment. « Le groupe nous renvoie à nous-même, comme un miroir : on ne pratique pas la patience tout seul ! » ajoute un moine. La première année, la vie de groupe demande à être stabilisée. Ceux qui décident de partir le font d’ailleurs à ce moment particulièrement difficile : douze heures de face-à-face avec soi sont trop violentes pour certains. Les réglages se font au fur et à mesure.

« Nous avons l’habitude de mettre la pancarte “défense d’entrer” autour de notre ego. Celui-ci est un jardin qui ressemble à un quartier de haute sécurité. En retraite, nous découvrons que nous pouvons ouvrir les grilles du jardin pour sortir et vivre en dehors de notre ego, se réjouit lama Puntso. Nous découvrons l’espace. Et plus nous méditons, plus nous nous sentons à l’étroit dans ce jardin qui limite l’esprit. »

Lama Tsultrim a fait ce chemin. « J’ai fait partie du premier groupe de retraite en 1985. J’ai beaucoup aimé la méditation et je ne voulais plus faire que cela. Je ne voulais plus sortir ! J’ai donc fait une seconde retraite dans la foulée et, à ma sortie, lama Guendune m’a désigné, avec une autre retraitante, comme lama. Nous ne nous sentions pas à la hauteur. Devant notre manque d’enthousiasme, il a donné un ordre : “Elles doivent.” Je comprends aujourd’hui son insistance. Le but de la méditation n’est pas de s’enfermer là où l’on se sent bien. Son ordre a fait exploser ma bulle de confort. Aujourd’hui, je médite dans l’action et je parcours la France pour enseigner la voie du Bouddha. »

Si le projet est tentant, le voyage n’est pas sans risque. Lors d’une retraite spirituelle, on découvre la totalité de l’iceberg, sans compromis. L’un va découvrir qu’il est avide et rongé de désir, l’autre qu’il est colérique et intolérant. Le but de la retraite n’est pas de soigner ses bobos, mais bien d’approfondir sa vérité intérieure. Alors, lentement, chacun s’applique, non pas à changer, mais à devenir complètement lui-même. « Il ne faut pas croire que tout cela soit extraordinaire. Pendant trois ans, nous continuons à vivre !